samedi 13 février 2016

Modjtaba Najafi, La face féminine du mouvement vert iranien, de l’Internet à la rue, Paris, L’Harmattan, 2015

LES FEMMES IRANIENNES, LE MOUVEMENT VERT ET LES RÉSEAUX SOCIAUX 
ARTICLE PUBLIÉ LE 11/02/2016

Par Modjtaba Najafi
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-femmes-iraniennes-le-Mouvement-vert-et-les-reseaux-sociaux.html

Modjtaba Najafi est journaliste, traducteur et doctorant en communication à l’université Sorbonne Nouvelle Paris III. Son domaine de recherche est l’influence des nouveaux médias dans la formation des mouvements socio-politiques et des nouvelles formes de sociabilité en Iran.
Ayant travaillé dans des quotidiens iraniens, il s’intéresse à la géopolitique du Moyen-Orient et plus précisément à la politique étrangère iranienne.
A l’occasion de la parution de son ouvrage La face féminine du mouvement vert iranien, de l’internet à la rue, Modjtaba Najafi revient pour Les clés du Moyen-Orient sur l’implication des femmes dans le Mouvement Vert à l’issue des élections de 2009 en Iran, ainsi que sur la diffusion de leurs idées et attentes par le vecteur d’Internet et des réseaux sociaux.
La face féminine du mouvement vert iranien, de l’internet à la rue analyse comment les femmes iraniennes ont lutté pour améliorer la condition féminine, évoque leur participation aux mouvements politiques et sociaux, et leurs méthodes de combat contre la discrimination. Il retrace leurs combats civiques non seulement dans les médias iraniens mais aussi lors des manifestations de 2009 réprimées dans le sang, avec la mort de l’icône Neda Agha Soltan.
En effet, le mouvement vert iranien, né des contestations postélectorales contre le président Mahmoud Ahmadinejad, est une forme nouvelle de protestation en Iran. En juin 2009, le gouvernement iranien est accusé d’avoir organisé une fraude électorale contre les candidats réformistes rivaux du conservateur Ahmadinejad, Mirhosein Moussavi et Mehdi karoubi. La couleur verte est choisie par les partisans de Moussavi afin de le différencier des autres candidats, et le mouvement est appelé Mouvement vert, également surnommé mouvement des femmes, des jeunes ou la révolution de Facebook. Par rapport aux grands mouvements socio-politiques iraniens, ce mouvement est spécifique par le rôle qu’ont eu les réseaux sociaux online sur l’évolution du mouvement.
Dans ce mouvement, on peut en effet observer la formation d’un nouvel espace public, celui d’internet, qui se distingue des espaces publics traditionnels. Cet espace est constitué des millions d’internautes iraniens qui utilisent ce nouveau moyen de communication mis en place dans les années 1990 après la guerre Iran-Iraq, sous l’influence des grandes transformations sociales et démographiques que connaît l’Iran. L’entrée dans la vie sociale de milliers de jeunes nés dans les années 1980, le développement de la scolarisation avec la création des universités et l’amélioration du bien-être, ont donné un nouveau visage à la société iranienne, jeune et dynamique, et ayant de multiples revendications.
Le pouvoir ayant une nature traditionnelle religieuse, il existe une tension permanente entre les autorités conservatrices et la société civile. Cette tension s’exprime notamment par le canal de l’information, en particulier avec le développement d’Internet qui a permis à la société civile iranienne de développer et de diffuser ses idées et revendications. Le mouvement vert a démontré qu’Internet et les réseaux sociaux sont fédérateurs et diffuseurs de l’information, et ont une fonction stratégique. L’efficacité des réseaux sociaux a été visible notamment lorsque les résultats de l’élection en juin 2009 ont été annoncés, le pouvoir iranien ayant été accusé de fraude électorale lors de la réélection du président Ahmadinejad. Des millions d’Iraniens des grandes villes se sont alors ressemblés dans les rues en scandant « où est mon vote ? » La dimension de ce mouvement s’est d’ailleurs accentuée via Internet, qui a favorisé la mise en place d’un engagement collectif et d’un sentiment de responsabilité envers le destin du pays, créant ainsi une solidarité iranienne.
En effet, ce mouvement se distingue des autres mouvements sociaux iraniens par plusieurs caractéristiques : sa visibilité du fait du développement des réseaux sociaux qui a conduit des personnes ordinaires à participer aux événements et à s’exposer ; l’élargissement de l’espace public iranien, des citoyens ordinaires étant devenus des héros du mouvement vert. Mais ce mouvement se caractérise essentiellement par la très forte présence des femmes lors des événements pré-électoraux et postélectoraux, dont elles ont d’ailleurs constitué l’avant-garde, et qui a attiré l’attention de l’opinion publique iranienne. Les images et les vidéos montrant des femmes ont insufflé un esprit féminin dans le mouvement.
Elles se sont ainsi imposées dans l’espace public et ont pu se faire connaitre et faire connaître leurs revendications, les diffuser dans l’ensemble de l’espace public iranien et établir des contacts dans toutes les couches de la société.
Afin de théoriser le mouvement vert iranien, nous avons emprunté la notion de « Public » de John Dewey, grande figure du pragmatisme américain. En utilisant sa notion du « public », il nous a été possible d’expliquer comment les contestataires iraniens ont été rassemblés par une revendication commune, un but précis, un désir global. En effet, Dewey insiste sur la puissance de la raison des citoyens, la force de leur imagination, la puissance de leur émotion, et les méthodes mises en œuvre afin de rechercher une solution. Selon Dewey, le public se forme dans les contextes de situations conflictuelles ; à l’issue d’un processus de transformation, il devient alors une communauté d’enquêteurs. Ainsi, partant de ce concept, nous avons abordé le public iranien par l’étude de sa construction médiatique pendant le Mouvement vert. Le public iranien a-t-il été construit par le biais de la participation active des verts aux événements postélectoraux ? La mise en valeur des figures symboliques, comme Neda Agha Soltan, a-t-elle aidé à la construction médiatique de la femme participante aux événements ? Ce livre montre ainsi la construction de la figure de la femme iranienne au fil des textes, des récits, des expériences, des témoignages… Il évoque également comment celle-ci a établi une relation avec les autres participants, avec un public, à travers ses écrits et ses images, lors de la recherche d’une solution à son problème. Enfin, il démontre comment les femmes iraniennes ont adopté une stratégie de visibilité lors des événements de 2009, afin de lutter contre l’invisibilité à laquelle la société iranienne était confrontée.

Modjtaba Najafi, La face féminine du mouvement vert iranien, de l’Internet à la rue, Paris, L’Harmattan, 25 juin 2015.

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