dimanche 25 octobre 2015

διαβάστε το απ' τη μεριά των γυναικών

http://www.lesclesdumoyenorient.com/Carole-Andre-Dessornes-1915-2015-un-siecle-de-tragedies-et-de-traumatismes-au.html

CAROLE ANDRÉ-DESSORNES, 1915-2015, UN SIÈCLE DE TRAGÉDIES ET DE TRAUMATISMES AU MOYEN-ORIENT 
ARTICLE PUBLIÉ LE 20/10/2015

Compte rendu d’Anne-Lucie Chaigne-Oudin

Carole André-Dessornes, docteur en sociologie de l’EHESS et consultante, auteur d’un premier ouvrage en 2013 sur Les femmes-martyres dans le monde arabe : Liban, Palestine et Irak, livre dans ce nouvel ouvrage sa réflexion sur le Moyen-Orient, de 1915 à 2015.
Au travers des guerres et des événements dramatiques qui ont jalonné le Moyen-Orient pendant un siècle, l’auteur s’intéresse en particulier à l’Humain, acteur mais aussi victime et tributaire de ces faits, qui laissent sur lui une empreinte psychologique indélébile : le traumatisme. Ce prisme d’analyse des événements par l’Humain et ses conséquences fait l’originalité de l’étude de l’auteur.
L’ouvrage débute par un rappel des différents traumatismes que la région a connus pendant la Première Guerre mondiale : les génocides arménien, assyrien, les actes perpétrés à l’encontre des Grecs Pontiques ; la famine de 1915-1918 du Mont-Liban. Outre la mise en perspective historique, Carole André-Dessornes se penche ensuite sur les conséquences de ces faits, en particulier le départ des populations vers d’autres pays ou région, ainsi que l’impact sur les générations suivantes de ce qui a été vécu par leurs ancêtres. Elle évoque en particulier le « déni du génocide et l’impunité des auteurs (qui fait) peser encore plus lourdement sur le traumatisme vécu collectivement » (page 21), ainsi que, par effet boomerang, les « cicatrices » toujours ouvertes des populations, même parmi celles qui n’ont pas vécu les événements. En effet, si les faits du passé sont niés ou non reconnus, le travail de guérison des descendants n’est pas possible. Pour conclure, l’auteur évoque aussi l’écueil de la « victimisation à outrance », qui peut guetter les familles, mais qui ne résout rien.
La question des « peuples exilés » est ensuite abordée. Sont-ils des « citoyens du monde ou hors du monde ? » Distinguant dans un premier temps les populations, en raison de leur milieu socio-éducatif, qui restent temporairement dans les camps de réfugiés et celles qui vont y passer leur vie, l’auteur évoque l’état psychologique de ces « déracinés » (page 30), puis revient sur deux événements majeurs qui ont donné lieu à un exil des peuples : la Nakba de 1948 et les guerres israélo-palestiniennes qui ont suivi ; puis, de nos jours, la guerre en Syrie.
Quelles en sont les conséquences pour les populations palestinienne et syrienne ? Pour les Palestiniens, l’auteur décrit leur ressenti face à ce que les générations passées ont vécu, auquel se mêlent les blessures et la rancœur liées à la situation actuelle (check-points, mur de séparation, colonisation…), ainsi que « les sentiments de culpabilité d’avoir échappé au pire, d’impuissance face à l’étendue des dégâts et de soif de vengeance pouvant alors alimenter de nouvelles formes de militantismes, allant parfois même jusqu’au sacrifice de soi, sacrifice suprême au nom d’une cause » (page 33). Pour les Syriens, les conséquences de la guerre civile sont traitées, dont la principale est le départ des Syriens vers les pays limitrophes de la Syrie pour 3,8 millions d’entre eux (Turquie, Liban, Jordanie et également Irak) ainsi que le déplacement des populations à l’intérieur de la Syrie pour 6,5 millions. Elle évoque ensuite les répercussions sociales et économiques pour les pays d’accueil, en particulier pour le Liban. A la question des populations exilées s’ajoute celle du sort des minorités religieuses (Yazidis, chrétiens, Kurdes), dans le contexte des interventions de l’organisation Etat islamique.
La tragédie du Liban est ensuite traitée dans le chapitre suivant. Pour l’auteur, les prémisses de la guerre civile (1975-1989) étaient déjà en germe depuis un certain temps, auxquels s’est ajoutée la question palestinienne. Cette guerre, plus « fratricide » que « civile » (page 48), a laissé de nombreuses séquelles, en particulier une fracture de la société et des communautés, ainsi qu’une « amnésie collective ». A cet égard, Carole André-Dessornes estime que « seul le manuel d’histoire unifié prenant appui sur un travail objectif de l’histoire et un vrai consensus permettront au Liban de tourner la page. Comment rebâtir un pays sur le mensonge et l’oubli ? » (page 49). A la guerre civile proprement dite, s’ajoute l’intervention des puissances régionales : Israël et la Syrie. Carole André-Dessornes analyse ainsi ces interventions extérieures : « Le Liban va suivre et subir les tensions s’exacerbant autour de lui entre Israéliens, Palestiniens, Syriens, Jordaniens… et devenir en quelque sorte le terrain de jeux des différentes forces en présence dans un contexte de guerre froide. Les Libanais se trouveront pris au piège de leurs propres guerres er de celles de autres » (page 49). L’auteur revient ensuite sur les conséquences de l’intervention israélienne à partir de 1982 au Sud Liban. Comme pour les précédents chapitres, elle analyse également les conséquences de cette guerre sur les populations : traumatismes, déplacements de populations, opérations suicides afin de libérer « sa terre ». Enfin, la dernière guerre qui s’est déroulée en 2006 entre le Hezbollah et l’armée israélienne, et qui a touché le pays jusqu’à la banlieue sud de Beyrouth, est évoquée. Face à la récurrence des conflits, Carole André-Dessornes s’interroge alors sur la résilience des Libanais : « cette capacité à faire face aux conflits et pressions subis par le pays peut s’avérer être un piège à bien des égards… celui de conduire toute une population à s’adapter à une situation qui se dégrade continuellement sans pouvoir envisager de se projeter à moyen et long terme, imposant de vivre au jour le jour. Une telle situation ne peut demeurer ; cela aboutit à un vide » (page 61).
Carole André-Dessornes se penche ensuite sur la question « des disparus des guerres ou le deuil impossible ». Face à la disparition d’un proche, si le corps n’est pas retrouvé, la famille a toujours l’espoir de le voir revenir, et ne peut réaliser le travail de deuil. Elle évoque également le statut juridique de cette situation, reconnu en 1998 de crime contre l’Humanité dans l’article 7 du Statut de Rome et mise en vigueur le 1er juillet 2002. Afin de développer son propos, l’auteur évoque les disparus du Liban et ceux de la guerre Iran-Irak de 1980-1988.
Pour le Liban, Carole André-Dessornes reprend le thème précédemment traité de la guerre civile, et l’aborde sous l’angle des disparus victimes d’enlèvements. Ceux-ci, perpétrés au début de la guerre de façon spontanée, deviennent par la suite des actes plus organisés. Elle souligne que les accords de Taëf de 1989 et la fin de la guerre civile n’ont jamais ni d’aucune façon soulevé la question des disparus. La fin de la guerre ne marque pas pour autant la fin des enlèvements, réalisés par Israël présent au Sud Liban de 1982 à 2000, et par la Syrie, mais cette fois, les personnes enlevées sont emprisonnées. De façon générale, ainsi que le soulève l’auteur, la question qui se pose pour les familles « est de savoir si le proche disparu est décédé ou encore en vie. (…) L’autre question qui s’impose aux familles est le motif de la disparition. (…) Régulièrement, des personnes se réunissent dans les rues devant le Parlement ou sur la Place de Martyrs pour réclamer la vérité sur leurs disparus » (pages 67-68). Carole André-Dessornes évoque ensuite les commissions mises en place (en 200, 2001, 2005) par différents ministres libanais afin d’enquêter sur le sort des disparus, sans résultats tangibles.
Pour les disparus de la guerre Iran-Irak, achevée en 1989, le fait le plus marquant est qu’il aura fallu attendre 2009 pour que « la plupart des prisonniers (aient été) libérés, selon le CICR, mais des milliers d’autres soldats restent encore portés disparus » (page 70). Ces dernières années, plusieurs corps de soldats iraniens ont été retrouvés.
Comment alors les proches et les familles peuvent-ils faire le deuil de leurs disparus ? Carole André-Dessornes rappelle qu’il est extrêmement difficile de le faire sans savoir ce qu’il est advenu à la personne, et que « l’absence du cadavre nourrit toute forme de spéculation autour du disparu » (page 72). Elle évoque à cet égard le travail réalisé par l’association Act for the Disappeared et celui du CICR.
Carole André-Dessornes traite ensuite de la problématique « (d)es victimes dites ‘collatérales’ des guerres », et évoque en particulier le viol, les enfants, les enfants soldats, car, comme elle l’analyse, « les personnes les plus vulnérables sont des victimes toutes désignées en temps de guerre. C’est contre elles que la cruauté atteindra son paroxysme. Il n’y a de place ni pour la faiblesse ni pour l’innocence durant ces périodes de violence extrême » (page 75).
L’auteur fait également le point sur l’utilisation des armes chimiques. Elle rappelle dans un premier temps le rôle des instances internationales dans le contrôle et la destruction de ces armes, puis l’utilisation de celles-ci pendant la guerre Iran-Iak (1980-1989) et la Première guerre du Golfe. Saddam Hussein utilise dès 1983 des armes chimiques contre les populations iranienne et kurde et enfin les conséquences de l’utilisation de ces armes sur les rescapés. De même, la bataille de Fallouja de 2004 est évoquée, au cours de laquelle l’armée américaine a utilisé des armes chimiques contre les insurgés sunnites, ainsi que les conséquences sur les populations (malformations chez les enfants nés depuis, cancers, sentiments de désespoir et de culpabilité des familles…).
Le dernier chapitre traite d’al-Qaïda et de l’Etat islamique, qui ont tous deux « une stratégie commune de la terreur », par le fait de perpétrer des attentats, ceux-ci laissant là encore des marques physiques et psychologiques, et distillent la peur et l’insécurité.
Au final, comme le souligne Carole André-Dessornes : « A travers ce livre il ne s’agit pas de se livrer à une compétition des Mémoires et des deuils, mais tout simplement de ne pas oublier. Le devoir de mémoire, c’est rendre justice aux victimes, c’est tout faire pour que la vérité se manifeste et tirer enfin des leçons des actes passés, récents ou non. Mais c’est aussi et surtout demander Pardon, passage obligé dans ce processus de reconnaissance pour les uns et de reconstruction pour les autres » (page 113).

Carole André-Dessornes, 1915-2015, un siècle de tragédies et de traumatismes au Moyen-Orient, Paris, L’Harmattan Bibliothèque de l’iReMMO, 2015, 123 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire